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Marie Hogu, 1844 - Joseph et Marie

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Marie Hogu

En résumé
  • Année: 1844
  • Commune: Vendôme
  • Département: Loir-et-Cher
  • Arme: Poison (arsenic)
  • Sexe: Homme, Femme

Nous sommes en 1841 à Vendôme, commune du Loir-et-Cher de 9000 âmes environ. Comme chaque matin, François Hogu ouvre les portes de son établissement, le "Café de Constantine". Installés en ville depuis peu, François Hogu et son épouse Marie s'intègrent bien parmi les vendômois, le Café de Constantine a même déjà ses habitués, notamment Joseph Rougier, un sabotier de vingt-six ans marié à Marie-Madeleine, une lingère de deux ans son aînée avec laquelle il a un enfant.

Avec le temps, les Hogu et les Rougier se rapprochent. François Hogu et Joseph Rougier deviennent bons amis et Marie-Madeleine Rougier travaille ponctuellement comme femme de ménage pour Marie Hogu. Une rumeur commence aussi à courir, Joseph et Marie s'adonneraient à des choses pas très catholiques. Et la rumeur dit vrai. L'attirance de Joseph Rougier pour cette femme autoritaire de trente-sept ans est a priori étrange, mais la carapace de Marie Hogu dissimule un attrait redoutable, son goût pour la bagatelle. Très fier de leurs ébats, Joseph Rougier les décrit volontiers à son ami et confident, le tailleur Pierre Joubert, lequel se méfie de Marie Hogu ; elle doit ourdir un mauvais coup pour prix de sa débauche, mais Joseph Rougier ignore ses mises en garde.

Pendant ce temps, François Hogu semble indifférent, en tout cas en public. Lui et Joseph Rougier demeurent même bons amis, du moins en apparence...

Crimes de Marie Hogue

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Le matin du dimanche 31 mars 1844, jour des Rameaux, Joseph Rougier se rend à la pâtisserie de M. Breton où il achète des brioches, puis se dirige vers le café de Constantine où l'attend François Hogu. Pierre Joubert est également en chemin. Attablés avec une bouteille de blanc, les trois hommes bavardent en dégustant les viennoiseries. François Hogu avale ensuite un bol de soupe au lait préparée par sa femme puis se rend à la messe des Rameaux à laquelle il assiste péniblement, se sentant de plus en plus nauséeux. Sans doute s'en veut-il d'avoir mangé de la brioche, étant incommodé depuis quelques jours, une telle gourmandise n'était pas raisonnable. Mais de retour chez lui, la situation s'avère bien plus sérieuse. Il vomit abondamment et son état se dégrade inexorablement. Il meurt une semaine plus tard, le 7 avril vers 17h, jour de Pâques.

Marie Hogu ne semble étrangement pas atteinte par le décès de son mari, organisant même son inhumation avec un mélange incongru d'indifférence et d'empressement. Plus étrange encore, François Hogu était dans la force de l'âge et jusqu'à tout récemment en bonne santé, d'aucuns trouvent donc étonnant son trépas si brutal, à commencer par son médecin, le docteur Satis.

Et ce n'est pas fini...

Le 3 mai, Marie-Madeleine Rougier est chez Marie Hogu en train de laver son plancher. Marie Hogu l'invite à faire une pause et lui sert un café. Tourmentée peu après par de vives douleurs à l'estomac, Marie-Madeleine Rougier s'en retourne chez elle. La voyant bien mal en point, Joseph Rougier court chercher le docteur Satis. Le médecin lui prescrit des "potions calmantes" et la fait jeûner. Son état semblant s'améliorer durant les jours suivants, le docteur Satis autorise des repas frugaux. Marie Hogu vient alors régulièrement prendre de ses nouvelles et se montre attentionnée, lui servant régulièrement à boire. Mais s'alimenter ne lui réussit pas, les vomissements reprennent et son état ne cesse dès lors de s'aggraver. Un lavement est finalement tenté en désespoir de cause, mais rien n'y fait, elle meurt le lundi 21 mai 1844 après une lente agonie.

Les circonstances de ces deux morts laissent le docteur Satis très circonspect. Suspectant un double empoisonnement à l'arsenic, il se rend chez le procureur du roi afin de lui recommander l'ouverture d'une instruction. Il signale également au magistrat la proximité licencieuse entre Joseph Rougier et Marie Hogu, soupçonnés depuis belle lurette d'être amants.

Le procureur s'empare de l'affaire et ordonne aussitôt l'autopsie de Marie-Madeleine Rougier. Elle confirme les craintes du docteur Satis, de l'arsenic est retrouvé dans l'estomac et les intestins. Joseph Rougier est placé en état d'arrestation. La dépouille de François Hogu est ensuite exhumée afin d'être autopsiée à son tour. Sans surprise, de l'arsenic est retrouvé dans son organisme. Marie Hogu est arrêtée.

Incarcérés dans l'attente de leur procès, les deux accusés nient avoir assassiné leurs époux respectifs.

Procès de Marie Hogu

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Le procès s'ouvre le 15 novembre 1844.

Les assises de Blois sont prises d'assaut par de très nombreux curieux venus de tout le Loir-et-Cher, la garde a dû être exceptionnellement renforcée de deux-cents hommes.

Joseph Rougier est le premier accusé à comparaître. Contre toute attente, il passe de lui-même aux aveux. Lui et Marie Hogu ont bel et bien assassiné leurs époux. Elle lui a fait acheter de l'arsenic et l'a persuadé d'empoisonner François Hogu avec elle le 31 mars, lui avec une brioche et elle avec de la soupe au lait, quant à Marie-Madeleine Rougier, Marie Hogu l'a empoisonnée seule, une première fois le 3 mai avec un café, puis tout au long du mois de mai, profitant de ses visites pour l'empoisonner à petit feu. Opposé à l'assassinat de sa femme, il ne l'a pourtant pas empêché, et pour cause, Marie Hogu menaçait de le dénoncer pour celui de son mari.

Messieurs, je veux tout vous dire. J'ai caché la vérité mais j'ai besoin de décharger ma conscience. J'ai commis les crimes avec la femme Hogu, elle a fait tout mon malheur. Aussitôt que je l'ai connue, elle m'a entraîné par son enthousiasme et son intrigue. Elle a d'abord donné à son mari du vert-de-gris mêlé dans des pommes de terre, et, lorsque M. Hogu est allé chez le médecin: "Ce coeur de poulet, qu'elle me disait, il va voir M. Satis !" Lorsqu'elle a vu qu'elle ne pouvait le tuer par le vert-de-gris, elle m'a déterminé par ses intrigues à acheter de l'arsenic, Je me suis procuré le poison chez M. Desronsières et nous avons partagé. Nous sommes convenus d'en mettre moi dans une brioche, elle dans la soupe au lait. Voilà comment M. Hogu a été empoisonné. J'avais bien regret de ce que je venais de faire, mais la femme Hogu a voulu aussi empoisonner ma pauvre femme. Je refusais, mais elle m'a menacé de me dénoncer. Si vous ne voulez pas, disait-elle, je vous dénonce ; c'est vous qui avez acheté l'arsenic et la brioche, on ne pourra rien dire de moi et vous serez condamné. J'en ai bien vu d'autres, me disait-elle encore, j'ai su qu'au Mans deux personnes qui étaient accusées avaient nié en se rejetant tout l'un sur l'autre, et on les a acquittés. J'ai cédé à ses menaces et ma passion m'a perdu. J'ai acheté de nouveau du poison, j'en ai donné la moitié à la femme Hogu pour empoisonner ma femme, et elle m'a dit de jeter l'autre moitié dans mon grenier, comme pour empoisonner les rats. La femme Hogu a donné le poison à ma femme, le 3 mai, dans une tasse de café, un jour qu'elle était allée laver au plancher de la femme Hogu ; ma femme depuis ce jour ne s'est pas relevée, elle a éprouvé des vomissements et des coliques. Pendant sa maladie on lui a fait probablement encore prendre de l'arsenic, elle est morte le 21 mai, ma pauvre femme ! Maintenant ma conscience est déchargée, et je me repens bien de mes crimes. Faites de moi, Messieurs, ce que vous voudrez, je suis à votre disposition.

Profitant des aveux de Joseph Rougier, Marie Hogu essaie quant à elle de lui faire porter le chapeau et même de nier leur liaison, pourtant largement établie durant l'enquête. Elle ignorait tout de son projet d'assassiner son mari et sa propre femme, se dépeignant comme une épouse amoureuse devant sans cesse éconduire Joseph Rougier, à l'évidence obnubilé par elle. Son regard se dirige ensuite vers Pierre Joubert, dont le témoignage confirmera soi-disant le sien.

Si M. Rougier a une âme à sauver, qu'il dise la vérité ; sa déclaration est un tissu de mensonges. Jamais M. Rougier ne m'a confié ses projets, jamais je n'ai connu l'arsenic, jamais je n'ai vu d'arsenic, on ne me fera pas dire autrement, parce que cela est la vérité. J'aimais mon mari, il était bon pour moi. Si j'avais su les projets de monsieur, je les aurais bien empêchés. M. Rougier me poursuivait partout, et je l'engageais à retourner à son ouvrage: M. Joubert pourra vous le dire. À la face de Dieu, je suis innocente ; je n'ai jamais touché l'arsenic, jamais je n'en ai vu.

Pierre Joubert s'empresse de décevoir Marie Hogu. Il confirme sa liaison avec Joseph Rougier, décrit comme un homme sous son emprise. Il la voyait se jouer de lui, usant pour ce faire dans l'intimité de ses charmes. Afin d'appuyer ses dires, il entreprend de relater à la cour certaines confidences très détaillée de Joseph Rougier sur ses pratiques avec Marie Hogu, excessivement détaillée d'ailleurs, il écope rapidement d'un rappel à l'ordre. Il affirme ensuite avoir vu un jour Joseph Rougier tenant un paquet d'arsenic, craignant le pire, il le supplia en vain de le lui remettre. Quatre jours plus tard, Joseph Rougier lui assura s'en être débarrassé, à l'évidence il mentait. Pierre Joubert fait finalement une révélation à la cour: Marie Hogu est venu s'offrir à lui après l'arrestation de Joseph Rougier. Se sachant à la veille d'être arrêtée à son tour, sans doute cherchait-elle à manipuler un futur témoin clé, comme elle manipulait Joseph Rougier. Et il le reconnaît, il a cédé à ses avances. Invité à donner son opinion, il croit Joseph Rougier coupable de l'assassinat de François Hogu mais innocent de celui de sa femme.

M. Morel, charcutier, se déclare également au fait depuis longtemps de la liaison entretenue par les accusés, ayant été témoin durant dix-huit mois de la présence continue de Joseph Rougier chez Marie Hogu. Avant l'arrivée des Hogu à Vendôme, les Rougier faisaient selon lui bon ménage. Il en est persuadé, Marie Hogu est l'instigatrice de ce double empoisonnement.

M. Breton, pâtissier, confirme l'achat de six brioches le 31 mars 1844. La transaction s'est faite en deux temps et de manière étrange. Il vint une première fois pour demander une brioche crue, prétendant en avoir besoin pour un pari, puis revint peu après, le pari avait été soi-disant annulé et il demanda l'enfournement de la brioche. Il l'avait marquée, a surveillé le four durant toute la cuisson et fut pris de panique lorsqu'il ne retrouva pas sa marque à la sortie du four. Il reconnut finalement sa brioche, en demanda cinq autres et s'en alla.

Mme Venier, commerçante, se souvient d'une phrase glaciale de Marie Hogu. Plaignant Joseph Rougier alors très affecté par la mort de sa femme, Marie Hogu aurait rétorqué: "Il faut savoir s'en consoler ; j'ai bien perdu deux maris, moi !". Invitée à confirmer, Marie Hogu ne s'en rappelle pas, mais précise tout de même: "Que voulez-vous ? Chacun a son caractère...".

Adélaïde Leblanc, domestique des Hogu, se souvient de sa maîtresse prophétisant la mort de Marie-Madeleine Rougier: "Remarquez ce que je vais vous dire. Elle ne sera pas longtemps en vie. Est-ce qu'un homme de vingt-huit ans peut être heureux avec une femme qui ne veut pas le voir ? Il ne le sera que quand elle n'existera plus.".

Adélaïde Brélan, couturière, a appris la mort de Marie-Madeleine Rougier de la bouche de Marie Hogu, croisée dans les rues de Vendôme le jour de son décès. L'annonce fut pour le moins abrupte et curieusement formulée: "La femme Rougier est bien morte où elle est, et son mari n'a rien à craindre, il est bien innocent de sa mort.".

Mme Cormier-Aubannelle relate une scène poignante et lourde de sens.

J'ai été témoin des derniers instants de la femme Rougier, elle était à toute extrémité. Lorsque la femme Hogu survint à son chevet, la femme Rougier lui lança, de ses yeux mourants, un regard extraordinaire, puis se tournant vers son mari, elle lui dit: "Je t'en prie, ne m'abandonne pas.", à quoi celui-ci répondit: "Sois tranquille, je ne t'abandonnerai pas."

Joseph Rougier aurait ensuite mis Marie Hogu à la porte.

Finalement, entendues malgré les liens familiaux à la demande du président, Mme Rougier et Mme Rousseau, respectivement la mère et la belle-mère de Joseph Rougier, confirment la présence régulière de Marie Hogu chez les Rougier durant l'agonie de Marie-Madeleine Rougier et elles l'ont vue à diverses reprises lui amener à boire. Peu avant sa mort, Marie-Madeleine Rougier leur a même confié craindre Marie Hogu et la soupçonner de ne pas être étrangère à son état. À la fin de cette audition, qui résonne particulièrement avec le témoignage de madame Cormier-Aubannelle, la salle est traversée par une vive émotion.

Le 17 novembre 1844 à 21h30, les jurés s'enferment dans la salle des délibérations. Ils ne s'y attardent guère, sortant de la salle à 22h15 avec leur verdict. L'impatience est à son comble.

Invité à lire le verdict, le président du jury déclare Marie Hogu coupable d'empoisonnement sur son mari et Marie-Madeleine Rougier. Joseph Rougier est déclaré coupable de complicité d'empoisonnement sur François Hogu. En conséquence, la cour les condamne tous deux à la peine de mort. Terrassé, Joseph Rougier doit être soutenu par les gendarmes. Marie Hogu ne réagit pas.

Fait rare, l'exécution aura lieu à Vendôme plutôt qu'à Blois, chef-lieu où se déroulent normalement les exécutions.

Il est 22h30, le procès est terminé. Satisfaite, la foule se calme et se disperse.

Après le procès

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Le pourvoi en cassation tenté par les avocats est rejeté le 30 janvier 1845. Il reste le recours en grâce mais il n'a évidemment aucune chance d'aboutir.

L'exécution est programmée pour le 25 février 1845. Transportée le 24 février à Vendôme, la guillotine est montée durant la nuit sur la place du champ de foire de l'Islette, actuelle place de la Liberté.

Joseph Rougier et Marie Hogu arrivent à la prison de Vendôme vers 6h du matin. Le greffier leur annonce le rejet de leur recours en grâce.

Peu avant 8h, les condamnés arrivent en voiture à l'échafaud. Tétanisé, Joseph Rougier doit être porté. Il est le premier à passer, le couperet s'abat à 8h05. Marie Hogu voit la tête de son amant atterrir dans le panier sans manifester la moindre émotion. C'est désormais son tour, elle n'oppose aucune résistance et meurt guillotinée à 8h07.

Version vidéo

Nota bene

Selon les sources, certaines informations peuvent différer légèrement, il s'agit généralement de détails mais il semblait pertinent de le préciser, par souci d'exactitude. Par exemple, Marie-Madeleine Rougier est selon les cas née Rousseau ou Roussineau. Certains témoignages varient aussi d'une source à l'autre, les écrivains et journalistes prenant parfois quelques libertés lorsqu'ils les citent dans leurs livres ou articles.

D'autre part, compte tenu du grand nombre de témoins auditionnés durant le procès, seule une sélection de témoignages a été évoquée ici, la totalité est disponible dans les sources.

Finalement, petit erratum: Marie-Madeleine Rougier avait deux ans de moins que son mari et non deux ans de plus.

Sources de l'article

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Publié par sur Caedes le 24-12-2023

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