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Georgette Thomas, 1886 - Dernière exécution publique d'une femme

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Georgette Thomas

En résumé
  • Année: 1886
  • Commune: Selles-Saint-Denis
  • Département: Loir-et-Cher
  • Arme: Feu
  • Sexe: Femme

Nous sommes en 1886 au Luneau, un hameau de Selles-Saint-Denis perdu en Sologne où vivent les époux Thomas. Georgette et Sylvain Thomas ont respectivement vingt-cinq et vingt-neuf ans, ils sont mariés depuis cinq ans, un mariage arraché à Sylvain qui avait mis Georgette enceinte. Ils vivent aujourd'hui modestement, entassés dans leur ferme d'une pièce avec leurs trois enfants et la mère de Georgette. Veuve depuis quatre ans, s'exprimant avec peine et perclus de douleur, Marie Lebon a récemment trouvé refuge chez sa fille qui s'est portée volontaire pour prendre soin d'elle, une dévotion derrière laquelle se cache en réalité un sombre dessein: avoir à portée de la main le bas de laine de sa mère afin de subtiliser les trois-cents francs qu'il contient. Et Georgette n'étant pas d'une nature charitable, chacun voit clair dans son jeu, particulièrement ses deux frères, Alexis et Alexandre, qui veillent au grain sur l'héritage. Mais comment empêcher leur soeur de dérober ce qui est désormais sous son toit ? Et qu'adviendra-t-il de leur mère une fois le larcin accompli ?

Sans surprise, peu après l'arrivée de Marie Lebon, son bas de laine disparaît mystérieusement. Furieux, les frères Lebon morigènent leur soeur et exigent qu'il soit restitué sur le champ. Elle prétend n'y être pour rien, leur mère a dû le perdre... Toujours est-il que Georgette Thomas n'a désormais plus qu'une idée en tête, se débarrasser d'elle. Elle essaie d'abord en vain de la faire interner dans un asile d'aliénés. Elle entreprend ensuite d'accélérer sa mort, l'astreignant à dormir sur une paillasse indigne, multipliant coups et brimades. Mais rien n'y fait, Marie Lebon s'accroche à la vie.

L'été approchant, la famille Thomas est soudainement frappée par une succession de malheurs. Les trois enfants et l'unique cheval tombent malades, le foin est gâté par l'orage et les poules meurent. À croire qu'une malédiction s'est abattue sur eux, c'est d'ailleurs ce que pense Georgette Thomas ; sa mère ayant autrefois pratiqué la sorcellerie, il lui semble évident qu'elle leur a jeté un sort.

Elle se met donc en quête d'un "dénoueux de sorts" qu'elle trouve à une quinzaine de kilomètres de chez eux, à Saint-Viâtre. Après quelques simagrées, cet homme confirme aux époux Thomas qu'ils sont victimes d'une malédiction de Marie Lebon. Mais lorsque Georgette Thomas lui demande de la rompre, il se dit impuissant face à pareille magie noire. Tant que Marie Lebon vivra, sa malédiction poursuivra son oeuvre...

Crime de Georgette Thomas

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Le 29 juillet au matin, Georgette Thomas décide d'en finir. Alors qu'elle est seule dans la maison avec sa mère, elle se rue sur elle et la pousse dans l'immense cheminée. Mais propulsée par la douleur, elle parvient à s'extirper des flammes. Abasourdie par ce regain d'énergie, Georgette prend conscience qu'il lui faut des bras supplémentaires. En attendant, le front sévèrement brûlé, Marie Lebon est enfermée à double tour dans le hangar.

Georgette Thomas fait ensuite chercher ses deux frères. À leur arrivée dans l'après-midi, un dialogue de sourds s'établit. Les frères Lebon n'ont pas digéré le vol des trois-cents francs et font de leur restitution un préalable à tout autre sujet. Décidément culottée, leur soeur nie toujours les avoir dérobés. Le ton monte, quand soudain, la visite impromptue du curé calme les esprits. Devant lui, on fait bonne figure.

Il est l'heure de manger lorsque le prêtre prend congé, les hommes ont faim et sont fatigués, d'autant qu'ils ont sûrement bu quelques verres en divine compagnie. Profitant qu'ils soient tous diminués, Georgette annonce qu'il faut tuer la mère ce soir afin de conjurer le mauvais sort ; la besogne accomplie, il sera temps de discuter des trois-cents francs... Il n'en fallait pas plus pour renouer le dialogue, les deux frères restent dîner. Commencent alors de sombres tractations.

Une fois tout le monde d'accord, la prisonnière est ramenée dans la maison et installée sur sa paillasse. On lui tend un verre et on lui dit de le vider, une eau de vie devant la rendre moins combative. Puis il est l'heure de passer à table.

En plein milieu du repas, Georgette Thomas donne le signal. Alexis et Alexandre se lèvent et traînent leur mère jusqu'à la cheminée. Ils la jettent dans les flammes et Sylvain Thomas s'assure qu'elle y reste, à coups de talons. La vieille femme pousse des hurlements abominables, agonisant atrocement dans un foyer insuffisamment ardent. Afin d'attiser les flammes, Georgette Thomas ajoute du pétrole et de la paille qu'elle extrait de la paillasse de sa mère, en intimant l'ordre à la suppliciée de prier pour le salut de son âme.

À l'horreur d'une telle mort s'ajoute une mise en scène grotesque et cacophonique. Tandis qu'une odeur nauséabonde envahit la maisonnée, les cris de douleur sont rythmés par des sommations au malin et des textes bibliques récités tels des incantations. Comble du ridicule, cette cérémonie est purifiée par une myriade de signes de croix et l'agitation d'une branche de buis imbibée d'eau bénite.

Les trois enfants des époux Thomas sont présents, Eugénie, René et Marcellin, respectivement âgés de sept, cinq et deux ans. On fait même chanter des litanies à Eugénie.

Après le dernier soubresaut de Marie Lebon, Georgette Thomas et ses frères partent au presbytère confesser leur crime. Sylvain doit quant à lui rester pour entretenir le feu. Trois heures d'acharnement plus tard, l'essentiel du corps s'est consumé. Il est tard, le reste attendra demain.

Le lendemain matin à la première heure, alertée du tapage de la veille, la gendarmerie envoie une escouade chez les Thomas. Le couple est présent, ainsi que les frères Lebon. Les gendarmes remarquent dans l'âtre des pieds noircis, un fragment de bras calciné, et comble de l'horreur, la tête encore reconnaissable de Marie Lebon ; sommés de se justifier, les intéressés prétendent l'avoir trouvée ainsi et émettent l'hypothèse qu'elle est tombée dans le feu en leur absence sans être capable de s'en libérer. Les gendarmes ne les croyant évidemment pas, une enquête pour meurtre est ouverte.

Procès de Georgette Thomas

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Le procès s'ouvre le 22 novembre 1886.

Accusés d'avoir assassiné Marie Lebon, les époux Thomas et les frères Lebon maintiennent leur version des faits. Personne ne doute de leur culpabilité mais rien ne contredit la thèse de l'accident. Aucune preuve, aucun témoin, à l'exception du curé qui a confessé Georgette et ses frères, mais secret de la confession oblige, il ne peut rien dire.

Le procureur s'évertue donc à les faire avouer, mais comme les gendarmes avant lui, sans résultat. Il faut se rendre à l'évidence, ils repartiront libres.

Navré de les voir s'en tirer à si bon compte, le Président du tribunal se risque à une manoeuvre audacieuse: entendre Eugénie Thomas, la fille aînée des époux Thomas. Sans surprise, les quatre avocats de la défense s'y opposent fermement, donner la parole aux enfants est totalement contraire aux usages, mais rien ne l'interdisant formellement, n'en déplaise aux maîtres Ballon, Laguerre, Petit et Henry, Eugénie Thomas est finalement appelée à la barre.

Du haut de ses huit ans désormais, Eugénie Thomas raconte tout. Sa mère qui commande à ses deux oncles de jeter sa grand-mère au feu, son père qui l'enfonce dans les flammes… elle n'omet aucun détail.

Le procureur reprend du poil de la bête. Armé de ce témoignage édifiant, il charge avec vigueur les accusés qui finissent par reconnaître les faits, chacun essayant peu ou prou de se dédouaner.

Georgette Thomas se perd en circonvolutions, Sylvain Thomas affirme n'avoir été que spectateur du crime, Alexis Lebon prétend que son beau-frère l'a contraint à participer sur ordre de son épouse. Seul Alexandre Lebon assume désormais, ajoutant que chacun a suivi sa soeur car tous voulaient en réalité "se débarrasser de la vieille".

Le 24 novembre, après une courte délibération, les jurés les déclarent tous coupables. Les époux Thomas sont condamnés à mort, Georgette Thomas éclate en sanglots. Les frères Lebon sont quant à eux condamnés aux travaux forcés, Alexis à perpétuité, Alexandre à vingt ans.

Après le procès

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Georgette Thomas s'attend à être graciée par le Président de la République, la tradition voulant pour les femmes que la peine de mort soit commuée en peine d'emprisonnement. Moyennant ensuite une conduite exemplaire agrémentée d'une foi bien mise en scène, elle peut espérer être libérée d'ici quelques années.

Mais une fois n'est pas coutume, compte tenu de l'atrocité du crime, le Président Jules Grévy refuse de gracier Georgette Thomas.

Le 24 janvier 1887, jour de l'exécution, les époux Thomas sont menés à l'échafaud vêtus d'une chemise blanche et d'un voile noir, comme le veut l'usage pour un parricide. Lorsque le bourreau Louis Deibler s'avance, Georgette Thomas devient hystérique. Persuadée que sa grâce est imminente, elle résiste violemment, hurlant et se débattant jusqu'à la chute du couperet, devant une foule médusée par son indignité. Sylvain Thomas ne fait quant à lui pas d'histoire.

Envoyés en Guyane, les frères Lebon ne feront pas de vieux os. Alexis Lebon meurt trois ans plus tard, le 21 juin 1890 à 37 ans, Alexandre Lebon tiendra quatre ans de plus, s'éteignant le 22 décembre 1894 à 31 ans.

Très affecté malgré sa brutalité légendaire, le bourreau Louis Deibler fait savoir qu'il demandera à être remplacé s'il doit à nouveau exécuter publiquement une femme. La population ressort également choquée de ce désastre. Afin d'éviter un nouveau scandale, il est décidé que les femmes seront désormais exécutées en prison, faisant de l'exécution de Georgette Thomas la dernière exécution publique d'une femme.

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Publié par sur Caedes le 12-06-2023

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